Statistiques

Date de création : 28.02.2014
Dernière mise à jour : 28.09.2025
19761 articles


Rubriques

>> Toutes les rubriques <<
· JUIFS DU MONDE. HISTOIRE. PERSONNAGES. (3308)
· ROIS.PRINCES.LA COUR ROYALE DU MAROC (260)
· JUIFS. CAMPS DE LA MORT. NAZIS. SHOAH. (2370)
· CÉLÉBRITÉS. COMÉDIENS. ARTISTES. (28)
· 1-RÉCIT D'UNE ENFANCE A RABAT. (220)
· 6-TOUR DU MAROC EN 365 JOURS ET +.2013. (399)
· MELLAHS, ARTISANS ET VIE JUIVE AU MAROC. (252)
· CIMETIÈRES ET SAINTS JUIFS DU MAROC. (306)
· ANNÉES 60. ANNÉES YEYE. (303)
· ROTHSCHILD. FAMILLES. DESCENDANCES. (448)

Derniers commentaires Articles les plus lus

· NABILLA BENATTIA.
· PRINCESSES ET PRINCES DU MAROC.
· LISTES DES PRÉNOMS HÉBRAÏQUES.
· PIERRES SUR LES TOMBES JUIVES ?
· LA CHANSON D'AUTREFOIS: TRABADJA LA MOUKERE.

· JEU DE NOTRE ENFANCE LA CARTE MAROCAINE: RONDA.
· ZAHIA DEHAR.
· PRINCESSE LALLA LATIFA HAMMOU DU MAROC.
· C’ÉTAIT LES DISCOTHÈQUES DE NOTRE JEUNESSE A PARIS.
· LES JUIFS CONNUS FRANCAIS.
· LA MAHIA EAU DE VIE MAROCAINE.
· LES FRERES ZEMMOUR. CRIMINELS JUIFS FRANCAIS.
· LE MARIAGE TRADITIONNEL AU MAROC.
· FEMMES INDIGÈNES POSANT NUES AU MAROC.
· LES EPOUSES DU ROI HASSAN II DU MAROC.

Voir plus 

Rechercher
Thèmes

amis anniversaire patrimoine image message sur center roman vie moi france place monde coup presse chez homme enfants femme photos travail société mort histoire centre fille nuit annonce pouvoir livre image

LA MÉMOIRE DE LA SHOAH EN POLOGNE.

La mémoire de la Shoah en Pologne

Noyés, poignardés, égorgés, lapidés, bébés tués sur la poitrine de leur mère puis piétinés, jeune fille décapitée, rescapés brûlés dans une grange, enfants survivants embrochés à coups de fourche et jetés à leur tour dans le feu, langues coupées, yeux arrachés, barbes enflammées, corps mutilés et traînés dans la poussière, à coup de haches, gourdins, barres de fer … C’est le retour sur des massacres oubliés et faussement attribués aux nazis et qui a obligé les Polonais à revoir leur image de pures victimes des totalitarismes tant soviétique que nazi et à confronter la part de certains d’entre eux (comme dans les pays baltes ou en Ukraine) dans la Shoah.

Nous étudierons donc la mémoire de la Shoah en Pologne en nous intéressant dans un premier temps à la permanence de cet antisémitisme après la guerre de 1939 - 1945 puis dans un deuxième temps à « la fin de l’innocence » pour la Pologne et au dialogue judéo-polonais.

1 - La permanence de l’antisémitisme d’après guerre.

1.1 - Pogroms d’après guerre

Avant toute chose, définissons ce qu’est exactement un pogrom. Le mot pogrom d’origine russe, signifie « attaques » ou « émeutes ». Selon Raul Hilberg, le pogrom est une brève explosion de violence d'une communauté contre un groupe juif qui vit au milieu d'elle-même. Un pogrom est donc défini comme des attaques violentes préméditées perpétrées par la police avec l’aide de la population locale contre la communauté juive. Ces actions violentes, s’accompagnent souvent de pillages ainsi que de destructions de certains biens personnels mais surtout d’assassinats.

Après la seconde guerre mondiale (1939-1945), ont encore lieu des violences contre la communauté juive. Ce qui donne ainsi lieu au premier pogrom. Le premier pogrom a lieu à Cracovie en Août 1945, celui-ci ce traduit par de nombreuses attaques de synagogues, de centres communautaires et d’appartements, ainsi que de nombreux assassinats de juifs. On voit les pillages se multiplier dans toute la région qui accueille les juifs.

C’est dans ce contexte que le bruit court au début de 1946 que des dizaines de milliers de Juifs vont rentrer d’URSS. En effet, dans une église, un curé avait affirmé : « Attention, les Russes et les Juifs reviennent. Bientôt ils seront ici. Alors vengez-vous des Russes et des Juifs avant qu’il ne soit trop tard ». Ces retours se font sur ordre de Staline, contre l’avis de Gomulka, vice-premier ministre polonais. Une décision est alors prise, qui est de diriger ces Juifs vers les provinces de l’Ouest, récupérées ou prises à l’Allemagne en 1945, notamment vers la Silésie et la Poméranie. Ces régions sont peu peuplées du fait qu’elles ont été désertées par les Allemands, qui ont pris la fuite ou bien en ont été chassés par les Polonais. Pour le gouvernement polonais, c’est un avantage parce que les Juifs ne reviendront ainsi pas dans leurs villages. Seulement, certains retournent chez eux. Notamment les Juifs cachés dans la forêt puis certains rescapés des camps. Ces quelques Juifs en revenant dans leurs villages, pensaient être accueillis à bras ouvert, avec de la compassion, mais il n’en est malheureusement rien. Les Juifs sont accueillis aux cris de : « Quoi, ils ne sont pas tous morts ? ». Suite aux retours des quelques juifs, des incidents antisémites sont alors signalés. En effet, certains Juifs qui étaient retournés dans leurs villages disparaissent, tandis que d’autres sont retrouvés morts sur les routes ou dans les bois. Ces faits passent d’abord inaperçus. Ces actes sont notamment la conséquence d’une loi promulguée en mai 1945 qui abroge tous les contrats de propriété passés entre des tiers et les autorités d’occupation, et qui prévoit que toute propriété abandonnée du fait de la guerre sera rendue. En effet, suite à cette loi les paysans prennent peur et tuent ainsi les Juifs pour ne pas avoir à rendre les maisons qu’ils avaient volées, ou par crainte d’être inquiétés pour les dénonciations qu’ils avaient commises. Mais les attaques contre les Juifs dans les villages éloignés, dans les trains et les autobus sont aussi souvent le fait d’unités nationalistes, qui n’ont pas capitulé après la chute de l’AK (Armée de l’intérieur) en janvier 1945, et qui combattent les Juifs aussi désigné comme les « ennemis de la Pologne ». Les assassinats dans les trains sont de plus en plus réguliers. En mai 1946, alors que les rapatriements s’accélèrent, le Comité central de Varsovie a établi une liste de près d’un millier de morts officiellement recensés. En juillet 1946, 150 000 juifs sont revenus. A l’exception des régions de l’Ouest, beaucoup s’installent à Lodz, moins détruite que d’autres villes comme Varsovie, et où un grand centre de rapatriement fonctionne, comme à Lodz où se trouvent 17 000 rescapés des camps, 1 500 anciens partisans, 2 000 rescapés des forêts et du ghetto, et 10 000 réfugiés d’URSS. 

Une attaque est survenue 14 mois après la fin de la Seconde Guerre mondiale, bien après que les Nazis eurent été « mis à terre ». En effet, le 4 juillet 1946 a lieu le pogrom de Kielce. La petite ville Kielce est située au Sud de Varsovie. Le Pogrom de Kielce fait allusion aux événements, lorsqu’il y eu quarante polonais dont trente-sept juifs massacrés et quatre-vingts blessés parmi environ deux cents survivants de l’Holocauste qui étaient revenus chez eux après la Seconde Guerre mondiale. En effet, pendant la Seconde Guerre mondiale, Kielce avait été entièrement vidée de sa population juive. C’est alors que vers l'été 1946, environ 200 juifs, surtout des anciens habitants, rentrent chez eux depuis les camps de concentration ou de leurs cachettes dans les forêts ou autre endroit. Quand le 1er juillet 1946, un petit garçon chrétien disparaît de la ville pendant quelques jours. En revenant, il déclare alors qu’il a été enlevé par des Juifs, qu’il accuse de tuer des enfants non juifs, et de garder les corps dans les sous sols de la rue Planty. Ces accusations déclenchent alors le 4 juillet 1946, des manifestations devant les résidences juives. C’est ainsi que des membres de la Police d’État du gouvernement communiste, de la Police du peuple Polonais et de la Police secrète firent une descente et entrèrent dans les habitations et pillèrent les maisons des juifs et leur tirèrent dessus. Quant à ceux qui essayaient de fuir, ils étaient attaqués dans la rue par la population polonaise. Dans ces affrontements, deux policiers polonais furent tués alors que les juifs tentaient de se défendre. 

D’autres assassinats ont encore lieu, après ce pogrom. En effet, dans les trains qui viennent d’URSS des incidents ont lieu. Un témoignage d’un homme juif polonais précise : « Quiconque a fait partie de ces convois vous dira que, même de nuit, les yeux fermés, il pouvait reconnaître, à la seconde près, l’instant où le train était entré en territoire polonais. Lorsqu’il ne s’agissait pas d’une attaque en règle, avec exécution de quelques gens pris au hasard pour nous faire passer l’envie de rester en Pologne, les pierres lancées contre nos wagons nous servaient de message d’avertissement. Le jour nous étendions des couvertures aux fenêtres afin de nous dissimuler au regard des paysans et aussi de nous protéger des jets de pierres. […] On nous raconta que les Polonais ne voulaient plus des Juifs et qu’ils avaient déjà tué plusieurs centaines de Juifs avant notre arrivée ». De plus, des rumeurs à l’encontre des Juifs continuent à se répandre. Notamment à Klodzko, en Basse Silésie, une femme parvient à faire rapidement circuler une rumeur inhabituelle : "Une jeune fille polonaise a été violée par un Juif". Mais heureusement, aux policiers venus l’arrêter, elle déclare : "J’espérais pouvoir, à moi seule, déclencher un autre Kielce." ».

Le bilan est lourd. Environ 1 500 Juifs ont été tués après la fin de la guerre. 100 000 Juifs ont quitté la Pologne dans les trois mois qui ont suivi le pogrom de Kielce. Il est resté en Pologne, 100 000 à 120 000 Juifs seulement.

image

1.2 - La politique antisémite de 1967-1968.

Le 10 Juin 1967, jour de la fin de la guerre des Six Jours entre Israël et les pays arabes, la Pologne rompt ses relations diplomatiques avec Israël. Beaucoup de Juifs polonais ont soutenus les Israéliens. En 1967, la très grande majorité des 40 000 Juifs résidants en Pologne sont parfaitement assimilés dans la société polonaise. Malgré cela ils furent l’année suivante la cible d’une campagne menée par le pouvoir central les assimilant à une trahison envers la Pologne. Les "partisans" de Moczar continuent de propager la thèse d'un "complot sioniste révisionniste". La protestation étudiante contre la censure fournit le prétexte d’une répression contre des étudiants juifs.

L'épuration est menée, plus ou moins ouvertement, sur les lieux de travail et d'études, notamment les universités,  ou encore dans les rangs du Parti. Elle permet également à ses promoteurs de se débarrasser d'adversaires politiques non - juifs. Une centaine de ministres et hauts fonctionnaires sont limogés et exclus du Parti. Au ministère des Affaires Étrangères, 40 % des postes moyens et élevés sont affectés par la purge. Au total, quelque 9 000 personnes seront, au fil des semaines, écartés des postes généralement élevés qu'ils occupent. Les représailles du pouvoir ne se bornent pas à l'épuration antisémite : les intellectuels les plus engagés en sont également victimes, inscrits sur une "liste noire" et interdits de publication. Tous sont régulièrement vilipendés dans la presse.

À cause de la pression, politique et policière, quelque 25 000 Juifs vont émigrer entre 1968 et 1970. La plupart d'entre eux décident de quitter le pays, soit pour Israël (moins d'un quart), soit pour un pays de l'Ouest. Un exode massif commence alors.

La campagne qui visait plus particulièrement les Juifs ayant exercé de hautes fonctions pendant la période stalinienne, atteignit l’ensemble des Juifs polonais, quel que soit leur milieu.

Il y eut de graves conséquences suite aux évènements de mars 1968. La campagne antisémite laissa une très mauvaise image de la Pologne à l’étranger. Certains intellectuels polonais révoltés à l’idée d’une campagne antisémite menée par l’État s’y opposèrent. Certaines des personnes étant passées à l’Ouest à cette période fondèrent des mouvements anti-communistes qui encouragèrent l’opposition en Pologne. 

2 - La fin de L’innocence

2.1 - Une réalité dévoilée : La mémoire de Jedwabne

L'Allemagne nazie, déjà maîtresse de l'ouest de la Pologne, se lance à la conquête de l'est. L'URSS doit abandonner le terrain. Alors que ces territoires changent de mains, aux confins orientaux de la Pologne, des pogroms éclatent : des milliers de Juifs sont victimes de violences commises par la population polonaise. Dans une région particulièrement influencée avant-guerre par le discours du parti nationaliste et antisémite « Démocratie nationale », les Juifs sont accusés d'avoir collaboré avec les soviétiques et facilité la déportation de Polonais en Sibérie.

Jedwabne est une petite ville située à 200 km au nord-est de Varsovie. Le 10 juillet 1941, la population locale, aidée de paysans des alentours, regroupent les Juifs sur la place principale du bourg. Forcés à chanter des hymnes à la gloire de l'Union soviétique et de porter un monument en hommage à Lénine, les juifs sont emmenés dans une grange, incendiée par leurs voisins polonais. Soixante ans plus tard, 340 corps seront exhumés mais certaines estimations recensent jusqu'à 1600 victimes de cette journée de massacre, perpétrée avec la complicité active d'unités mobiles de SS.

Il faudra alors attendre 2001 pour que le pogrom de Jedwabne soit rendu public. Notamment grâce à un homme nommé Jan T. Gross, professeur d'histoire à l'université de Princeton qui le fait revivre dans son ouvrage « Les Voisins » le 10 juillet 1941. Le livre fait l'effet d'une bombe. En réalité, la participation de Polonais à certains pogroms était bien connue mais l'information restait dans les cercles universitaires, parfois relayée dans la presse clandestine. Il a fallu que le verrou communiste saute, que les archives s'ouvrent, pour que le débat devienne public.

Depuis la sortie du livre, Mme Arnold a pu réaliser un documentaire entièrement consacré à la tragédie de Jedwabne. Intitulé lui aussi « Les Voisins », il a été diffusé par la télévision nationale en avril. Il a bouleversé la Pologne. L’opinion publique voudrait savoir dans quelle proportion les habitants de Jedwabne ont prêté la main à cette barbarie. Les gendarmes allemands – moins d’une douzaine – se sont-ils contentés de prendre des photos, comme l’affirment plusieurs témoins cités par Jan Gross ? Les Polonais font confiance à l’Institut de la mémoire nationale (IPN) pour établir toute la vérité. Cette institution indépendante est chargée d’une enquête.

Même si la crédibilité de certains témoignages cités par Gross et sa thèse d’une action spontanée sont contestées par des historiens polonais, il a fallu se rendre à l’évidence : les nazis allemands n’ont pas été les seuls responsables de massacres de juifs en Pologne. Si les Polonais sont les plus nombreux à avoir obtenu le titre de « Justes parmi les nations », décerné par l’Institut israélien de Yad Vashem à ceux qui ont sauvé des juifs, d’autres ont contribué aux exactions antijuives. La participation des Polonais dans le crime de Jedwabne est indéniable. Aucun historien sérieux ne peut le nier, a dit le premier ministre, Jerzy Buzek. « Si nous avons le droit d’être fiers des Polonais qui ont sauvé des juifs au risque de leur vie, nous devons aussi reconnaître la culpabilité de ceux qui ont pris part à ces assassinats. »

L'affaire « Jedwabne » atteint son paroxysme avec la demande de pardon officielle du président Kwasniewski au nom de la nation polonaise, à Jedwabne le 10 juillet 2001. En marge du débat public, l’IPN fraîchement créé, est en charge d'ouvrir une enquête criminelle et de mener des recherches historiques sur la vague de pogromes de l'été 1941. Concernant Jedwabne, les résultats de l'enquête criminelle publiés en juillet 2002 établissent que « les auteurs directs de ce crime sont des habitants polonais de Jedwabne et des localités environnantes, une quarantaine d'hommes au moins ». Au même moment paraît un livre blanc de 1600 pages intitulé Autour de Jedwabne, dans lequel des historiens polonais font la lumière sur une vingtaine d'autres pogromes, commis dans les mêmes circonstances. Ils rétablissent aussi certaines erreurs du livre de Gross, à partir d'archives allemandes, révélant par exemple la présence dans les environs de Jedwabne d'unités SS, ce qui appuie la thèse d'une implication allemande. 

Aujourd’hui, personne ne conteste la réalité du drame. Même l’Église polonaise, après plusieurs mois de silence, a fini par l’admettre, exprimant son « repentir » le 27 mai, au cours d’une messe célébrée à Varsovie par le primat de Pologne. « C’était un pas supplémentaire dans notre examen de conscience et dans notre dialogue avec les Juifs que deux totalitarismes, le nazisme et le communisme, ont trop longtemps empoisonné », déclare le père Adam Schulz.

La guerre a été un moment très important dans la construction de l’identité polonaise: d’abord les Alliés ont trahi la Pologne en l’abandonnant à Hitler, puis ils l’ont laissée tomber dans l’orbite soviétique. Cette identité s’est fondée sur une « victimisation » de la nation. On ne peut d’ailleurs nier que les Polonais aient été des victimes de l’Histoire. Mais avec la catastrophe de Jedwabne, ils ont soudain réalisé que la victime, lorsqu’elle en a eu l’occasion, est devenue bourreau. 

Entendre des Polonais admettre que des Polonais ont tué des Juifs, c’est extraordinaire, je ne m’attendais pas à un débat d’une telle ampleur, je pensais qu’il se limiterait aux spécialistes. 

Jedwabne a posé les fondements nécessaires au travail de mémoire sur la Seconde Guerre mondiale et a initié un dialogue sans tabou entre Juifs et Polonais. Aujourd'hui, grâce à ces recherches scientifiques reconnues par les Polonais comme par les Juifs, grâce aux messages de réconciliation délivrés par les autorités laïques comme religieuses, ce fragment d'histoire longtemps occulté est désormais accepté par la majorité de la société polonaise.

2.2 - Un rapprochement juif/polonais.

C’est en septembre 1939 que la Pologne est envahie par l’Allemagne et l’Union Soviétique. Six millions de citoyens polonais, dont trois millions de Juifs périssent durant le conflit. Malgré la résistance, la société polonaise ne jouit pas dans l’après guerre de la gloire de son sacrifice. Premier pays d’Europe de l’Est à se donner un gouvernement démocratique (août 1989), la Pologne est aujourd’hui au cœur de bouleversements mémoriels alors que toutes les anciennes démocraties populaires réinventent leur histoire nationale et entament un dialogue avec leur passé et ses zones d’ombre, dérangeantes pour l’honneur national. La Pologne se réconcilie-t-elle enfin avec sa mémoire juive ? Les commémorations du soixante-cinquième anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie semblent le confirmer.

La Pologne a commencé à remplir son devoir de mémoire face à son passé juif. Ce travail de mémoire est d’abord le fait d’individus qui, confrontés aux vestiges oubliés d’un monde juif disparu, ont décidé de combler ces trous de mémoire dans les consciences locales. Le travail de Thomas Pietrasiewicz, fondateur du centre culturel de la porte Grodzka à Lublin est un cas de figure parmi de nombreuses initiatives locales visant à rendre à la Pologne la mémoire de sa culture juive. En effet, en 1939, les Juifs formaient 40 % de la population de Varsovie. Aujourd’hui, seul le cimetière juif révèle encore leur importance dans l’histoire de la capitale. L’occultation de ce passé sous le communisme n’a pas comblé l’énorme vide historique causé par l’anéantissement de la plus nombreuse communauté juive d’Europe. Un grand musée, retraçant plus de mille ans d’histoire juive polonaise devrait s’ouvrir en 2011, face au monument du ghetto de Varsovie. Ce projet ambitieux, dont les débuts remontent à 1996, jouit du soutien du président Lech Kaczynski qui, le 15 avril, lors des cérémonies du soixante-cinquième anniversaire de l’insurrection du ghetto, en présence de son homologue israélien, Shimon Peres, a réaffirmé l’engagement des autorités polonaises à construire ce musée, dont la première pierre a été posée en juin 2007. Financé aussi par l’Allemagne, la France, les États-Unis, ce projet mobilise un réseau international de comités de soutien, en particulier dans la diaspora juive, qui redéfinit ses relations avec la nouvelle Pologne. Survivants et descendants de Juifs polonais reviennent au pays de leurs ancêtres, à la recherche des vestiges d’un patrimoine mémoriel dont ils ont été spoliés par la Shoah. Depuis 1989 renaît une petite communauté juive, composée surtout de « néo juifs » qui se reconstruisent une identité disparue par assimilation sous l’ère communiste. Chaque été, le Festival de culture juive de Cracovie attire des foules de jeunes Polonais fascinés par les musiques du Yiddish land.

En 2000, le livre de l’historien d’origine polonaise Jan T. Gross, sur le massacre des Juifs de Jedwabne par leurs voisins polonais en 1941 déclenche un débat national, suivi des excuses officielles du président Kwasniewski en 2001.

L’entrée dans l’Union européenne incite la Pologne à faire connaître son histoire nationale à l’étranger. Lors des commémorations de l’été 2004, historiens et médias polonais s’accordent à déplorer que l’insurrection du ghetto de Varsovie en 1943 soit connue du monde entier, alors que le soulèvement général de la ville le 1er août 1944 ne jouit pas de la même notoriété. Pour les nationalistes, l’heure est à la concurrence des mémoires : la presse étrangère parlerait trop des victimes juives de la Seconde Guerre mondiale en Pologne et pas assez des souffrances des Polonais, persécutés par les nazis et par les communistes. Commence alors une concurrence des mémoires.

En juin 2007, à la demande du gouvernement polonais, le Comité du patrimoine mondial de l’Unesco a officiellement changé le nom du « Camp de concentration d’Auschwitz » en « Auschwitz Birkenau. Camp allemand nazi de concentration et d’extermination ». Ce changement de dénomination vise à éviter l’amalgame fréquent entre la Pologne et l’industrie de mort nazie. Ainsi, le maire d’Oswiecim ne cesse de déplorer que sa ville n’est connue de l’étranger que comme le lieu du génocide juif, Auschwitz, le nom allemand de cette vieille localité de Silésie. Le 27 janvier 2008 à Auschwitz Birkenau, lors de l’hommage aux victimes de l’Holocauste, une vingtaine d’habitants d’Oswiecim sont décorés de hautes distinctions polonaises pour avoir aidé clandestinement les détenus et les fugitifs du camp. Un acte de mémoire qui soulage les rapports difficiles de la petite ville polonaise avec la mémoire oppressante de l’ancien camp de la mort nazi.

Le 9 novembre 2007, au monument du Soldat inconnu à Varsovie, la Pologne rend hommage aux victimes de Katyn. Citant tous les noms des quelque treize mille officiers assassinés, l’armée polonaise fait de cette cérémonie un impressionnant acte de mémoire, qui dure plus de quarante heures soit jusqu’au 11 novembre, jour de la fête de l’indépendance.

Le début 2008 est marqué par le quarantième anniversaire de « mars 68 » et de la vague d’antisémitisme qui suivit la protestation étudiante contre la censure, chassant du pays ses derniers Juifs. Signe de repentance, le gouvernement polonais annonce qu’il restitue la nationalité polonaise aux exilés de 68. Dans son discours à la gare de Gdansk (à Varsovie), où passaient à l’époque les trains internationaux, le président Lech Kaczynski, inaugure une plaque commémorative, déclarant que mars 68 a été une période honteuse de l’histoire nationale, très négative pour l’image de la Pologne dans le monde. En manifestant cette volonté de réparation envers les victimes de l’antisémitisme communiste en 68, les autorités montrent aujourd’hui qu’elles veulent renforcer les liens entre la Pologne et Israël et contribuer à la renaissance de la vie juive dans le pays.

Les cérémonies du soixante-cinquième anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie ont confirmé cette orientation mémorielle, marquant les premiers pas d’une politique de mémoire partagée entre la Pologne et Israël. Comme l’exposait à la presse Ewa Junczyk-Ziomecka,  ministre de la chancellerie présidentielle,  Lech Kaczynski a voulu que la commémoration de l’insurrection du 19 avril 1943 rassemble les Juifs et les Polonais.  Il a donc invité le président Shimon Peres afin que les deux chefs d’État manifestent ensemble le même respect du passé. Les biens privés appartenant à des citoyens  polonais, dont les Juifs, qui furent nationalisés par le régime communiste  après la Seconde Guerre mondiale,  sont à l’origine d’une loi de compensation qui dédommagera les propriétaires de leurs biens ainsi que le droit pour 15 à 20 % de la valeur de leurs biens.

En 2001, une loi de restitution votée par la Diète avait été bloquée par le veto du président Alexandre Kwasniewski. Tusk qui inaugurait l’« année polonaise » en Israël s’est entretenu avec le Premier ministre Olmert d’une intensification des échanges culturels entre les deux pays, précisant qu’il ne faut pas que la Pologne soit vue comme le cimetière du peuple juif et que les jeunes Israéliens doivent être informés des siècles de coexistence pacifique qui caractérisaient les relations entre Polonais et Juifs avant la Shoah. Tusk a souligné les liens étroits unissant les deux pays en évoquant la souffrance commune des Polonais et des Juifs sous le nazisme. Il a affirmé la volonté polonaise d’élaborer un futur commun avec l’État juif. Sans atteindre pour autant l’ampleur des commémorations de l’insurrection polonaise de 1944, le poids donné cette année par les autorités polonaises aux cérémonies honorant la mémoire des combattants du ghetto témoigne d’une volonté politique de conférer aux deux soulèvements des charges symboliques comparables, envers l’opinion polonaise comme envers l’étranger. Le Parlement polonais, dans une session spéciale, a honoré la mémoire des combattants juifs du ghetto dont le sacrifice mérite la plus haute admiration, le respect et la mémoire. Honorés tant à la Diète que dans les médias, comme Juifs et Polonais, les insurgés du ghetto appartiennent donc intégralement à l’histoire polonaise. Outre une importante délégation israélienne, ces commémorations ont rassemblé de nombreuses personnalités étrangères, dont Bernard Kouchner et Richard Prasquier, président du Conseil représentatif des institutions juives de France lui-même d’origine polonaise qui a affirmé que le rôle des Juifs est de serrer la main de « la nouvelle Pologne » et examiner avec elle la construction d’une histoire commune. 

Conclusion

Sans avoir pour autant le caractère d’un acte de repentance officielle ou d’une « confession collective » de la Pologne, tant pour sa part de responsabilités dans la destruction des Juifs par les nazis que pour l’antisémitisme virulent dont furent victimes les survivants de la Shoah après 1945, les différents actes de mémoire liés aux commémorations de l’insurrection du ghetto en 2008 rompent indéniablement avec ce refus d’être confronté aux épisodes de la mémoire nationale qui caractérisait le pays dans ses essais de dialogue avec la diaspora juive polonaise. Le futur dira si la « réconciliation » judéo - polonaise opérée par le président de la Pologne et son homologue israélien conduira à l’invention d’une véritable histoire partagée. Les liens de coopération entre la Pologne et l’État d’Israël semblent faciliter cette reconnaissance mutuelle nécessaire, pour les Polonais comme pour les Juifs, en Israël et en diaspora. Le soixante-cinquième anniversaire de l’insurrection du ghetto de Varsovie a uni une « nouvelle Pologne » et un « nouvel Israël », car si la Pologne retrouve sa mémoire juive, le président Peres, quand à lui, s’est exprimé au nom d’un « nouvel Israël », qui a retrouvé sa mémoire polonaise.